Droit dans le mur

16/06/2021

J'ai passé mon enfance à jouer dehors, à courir dans les prés, à grimper aux arbres, à sauter à l'élastique et à construire des cabanes dans la forêt. Nous avions des clans, des histoires rocambolesques, des bagarres, des alliances et des réconciliations heureuses.

Pendant l'été, nos genoux et nos coudes étaient constamment croûtés à force de tomber. Nous faisions couler l'eau du ruisseau pour nettoyer nos plaies, ou un peu de salive, car nous n'avions pas vraiment le temps de cesser nos aventures et nos jeux.

Nous prenions un seul bain par semaine. Le reste du temps, un débarbouillage vite-fait à la lavette. Les anciens nous racontaient parfois des histoires terrifiantes, juste avant d'aller au lit, et nous filions sous les draps, avec un peu de peur, de doute, et le goût du drame, ce qui donnait matière à inventer de nouvelles activités le lendemain.

Nos ongles n'étaient pas souvent propres, nos cheveux pleins de nœuds. Surtout les miens.

Nous n'étions presque jamais malades. Et lorsqu'un enfant du village attrapait une maladie infantile, nos mères avaient l'intelligence de nous confiner tous ensembles pour que tout le monde y passe et en quelques semaines, la quasi-totalité des mômes avait attrapé rougeole, oreillons, varicelle, rubéole ou coqueluche. C'était simple et normal. Très peu de complications, aucun décès ou séquelle grave à ma connaissance durant toutes ces années. Nous allions chez le médecin pour faire des radios et mettre un plâtre, ou pour des points de sutures. En cas de forte fièvre, on nous emmaillotait dans des linges froids trempés au vinaigre. Et les remèdes de grand-mère faisaient grand effet.

Il y a toujours eu un ou deux enfants à la santé plus fragile, ça aussi c'était normal, et ces enfants-là bénéficiaient de soins particuliers.

En hiver, nous avions la goutte au nez, les pieds et les fesses mouillées presque toute la journée à force de jouer dans la neige sur le chemin de l'école. On se partageait sans le savoir allègrement tous nos microbes et virus, et cela nous rendait plus forts, plus résistants.

Puis un jour, chaque égratignure est devenue un potentiel danger d'infection et de mort. On a commencé à distribuer les antibiotiques comme des bonbons, pour un oui, pour un non. La peur de la vie s'est installée dans les esprits.

Oui, les antibiotiques ont sauvé bien des vies. Mais les antibiotiques ont aussi terriblement affaibli des générations. Uniquement parce que la médecine a pris le parti de croire que les médicaments étaient systématiquement plus efficaces que les forces naturelles de guérison.

Cela fait des années qu'à force d'abuser de médicaments depuis la naissance, on tue à petit feu la capacité du corps à se guérir. Plutôt que de se concentrer sur les cas qui nécessitent vraiment un apport médical, on s'est dit qu'il valait mieux appliquer à toute la population le principe de la sécurité à tout prix en faisant fi des effets secondaires. 

Résultat : Nous avons développé une résistance aux antibiotiques. Un excès de propreté a fait naître des sympathiques staphylocoques et autres bacteries dangereuses dans les milieux hospitaliers, le pourcentage de malades chroniques augmente  de maniere effrayante . On meurt plus vieux, mais on tombe malade plus vite.

Quand je vois toute cette population masquée, cette course aux vaccins, je me dis que c'est simplement la continuité, la suite logique des choix de la médecine. Toujours ce même fantasme, cette chimère ridicule, cette croyance insensée que la chimie est plus forte que la vie. Que la science peut éradiquer  virus, maladies et la mort elle-même.  Pourtant, c'est bien cette folie qui nous a mené à la situation actuelle. Cette obsession du risque zéro, du sanitairement stérile. Cela nous conduira à une catastrophe bien pire que celle d'aujourd'hui. Les prochains virus et maladies seront juste la conséquence, le résultat d'une médecine qui s'est laissée aspirée et pervertir par les enjeux économiques, par les gigantesques profits qu'elle peut générer avec l'industrie pharmaceutique.  

Mais personne n'est plus intelligent ou supérieur à la vie elle-même.  

Il suffit de regarder le désastre du monde pour se rendre compte que nous nous dirigeons droit dans le mur.

Nathalie Héritier